Beaucoup resteront sur le carreau et pas forcément ceux à qui l’on pense en premier Entraîneur de trotteurs basé dans la périphérie de Saint-Etienne, Bertrand Chourre n’y va pas avec le dos de la cuillère pour analyser la crise sanitaire et ses répercussions sur le paysage hippique. Il faut aussi parfois savoir exprimer bien haut ce que beaucoup pensent tout bas. Dans la campagne forézienne, à deux pas de Saint-Etienne, comme tous ses confrères entraîneurs de trotteurs Bertrand Chourre attend avec impatience la reprise de l’activité. Non sans se poser d’innombrables questions dans d’interminables heures de confinement. « Il n’y a pas grand-chose à faire d’autre que de rester enfermé. On continue de travailler les chevaux sans savoir quand ça va rattaquer. Pour le 15 avril c’est mort, vers chez nous on ne parle plus que du 1er mai et encore à condition de courir à huis clos si l’on prend la Chine pour modèle. Que restera t’il au final de notre métier, de ses infrastructures ? Un hippodrome comme Lyon survivra. Grâce au PMU il y aura toujours des joueurs sur internet, mais des petits champs de courses comme Châtillon sur Chalaronne, Cluny, Nîmes ou Carpentras, s'il n'y’a plus de public, comment résisteront-ils ? Et puis, le huis clos c’est bien beau, mais on aime avant tout l’ambiance qui règne sur ces petits anneaux. Nous n’y allons pas que pour courir. Il y a toute cette convivialité autour qui a fait la noblesse de notre sport. A Feurs, lors de la dernière réunion avant le confinement, il n’y avait même pas de speaker, on se serait cru à une séance de qualifications. C’était horrible pour ne pas dire déprimant », remarque ce professionnel à l’effectif très réduit. A la tête d’une dizaine de trotteurs, sans clients, ce petit propriétaire et éleveur se soucie aujourd’hui davantage pour la survie de nombre de ses confrères. Paradoxal, certes, mais son discours est pragmatique.
"Il faudrait un geste significatf de l'Etat" « Financièrement, grâce à un début d’année qui n’a pas été catastrophique, j’arriverai à m’en sortir, même s’il faudra serrer les dents. Ma situation est bien moins compliquée que pour certains collègues. Beaucoup resteront sur le carreau. Et pas forcément ceux à qui l'on pense en premier. De grosses boutiques vont prendre cher. Les écuries qui ont cinq ou six salariés ne peuvent pas se permettre de les mettre au chômage technique. Ils ont cent chevaux, ils sont obligés de maintenir leur effectif à flot. Il faut donc verser les salaires, nourrir et soigner cent bêtes. Avec mes dix trotteurs, j’ai des frais, mais je limite la casse. Je ne compte sur personne, je m’en sortirai seul. Ce dont j’ai le plus peur c’est que la société mère ne soit pas capable de se relever après ce désastre économique. Si l’Etat continue à taxer le PMU l’an prochain, beaucoup ne survivront pas. Il faudrait un geste significatif de l’Etat, mais ça malheureusement il ne faut pas trop y compter. Il y aura un après c’est sûr, mais quelle gueule aura-t-il ? Si l’entreprise résiste à cette crise tant mieux, si elle ne survit pas j’irais bosser à côté, je ne suis pas fainéant. La différence qu’il y a entre moi et beaucoup, c’est que j’ai uniquement 800 € de crédit pour ma maison. Je n’ai pas 5000 € de traites à payer chaque mois. Si l’on va travailler tous les deux avec ma compagne, on pourra rembourser notre investissement. Imaginons que demain les courses s’arrêtent,… ceux qui remboursent 5000 € pour leurs infrastructures, même s’ils vont au labeur à deux au smic, ça ne suffira pas. Ils seront foutus dehors et dans ce cas, croyez-moi, ils sont nombreux. Certains se sont engagés sur 30 ans. Déjà qu’ils ne roulaient pas sur l’or… c’est effrayant ». "Le premier barreau de l'échelle sauve et fait tourner le pays" Si la technologie avance, les acquis, eux, continuent de reculer. Le modèle français est en souffrance. La crise sanitaire qui nous frappe servira-t-elle à changer les mentalités ? Bertrand n’y croît plus vraiment. « Le Français est con. Il se fait taper dessus toute la journée et a de surcroît la mémoire courte. Tout le monde applaudit aujourd’hui de sa fenêtre ou de son balcon les infirmières et le corps médical, mais demain que restera-t-il de cette solidarité de façade ? Peut-être les laisseront-ils crever la bouche ouverte, peut-être taperont-ils encore plus fort sur la gueule des fonctionnaires. Ils ont certains avantages que j’ai parfois du mal à concevoir ou à cautionner, par égoïsme, parce que dans notre métier on s’arrache le cul 365 jours par an, mais en attendant à l’heure actuelle qui fait tourner le pays ? Les gens qui nous torchent quand on est proches de la mort, on est quand même bien contents de les trouver par les temps qui courent. J’espère que certains se rappellent qu’il y a un mois de ça ils leur tapaient dessus sur ordre du gouvernement. Quant aux agriculteurs et aux routiers, beaucoup disaient qu’ils étaient les principaux pollueurs. Aujourd’hui, il n’y a jamais eu aussi peu de pollution et il n’y a plus qu’eux qui bossent. Conclusion, c’est le premier barreau de l’échelle qui sauve et fait tourner le pays », reprend le Ligérien qui attend désormais une réadaptation urgente des programmes ou tout du moins une réflexion profonde des décideurs. « On ne sait pas si les courses annulées vont être reportées, maintenues, personne ne peut prédire où l’on va. Toutes ces réunions perdues ne pourront pas se courir tout de suite sinon on va demander à nos chevaux de se produire tous les jours de la semaine. Je milite pour corriger ces conneries de mesures qui ont été pondues pour stopper ou tout du moins limiter les dédoublements voire les détriplements d’épreuves. Il faut se servir des enveloppes de ces courses oubliées et organiser des réunions de douze ou treize courses pour faire revenir du monde sur les hippodromes. Bien entendu, je souhaite la gratuité des entrées avec un maximum d’animations et de paris offerts pour essayer de sauver les meubles. Cela ne satisfera pas tout le monde, j’en suis conscient. Ce ne sont que des hypothèses. Pour les miracles, il faudra attendre encore longtemps ». |