Franck Forési : Une terrible épidémie pour les écuries les plus fragiles A Calas, Franck Forési prend son mal en patience. Comme ses collègues de pistes. Inquiet pour toute une profession malgré les effets d’annonce et les promesses d’hier liées à la crise sanitaire. Qu’en restera-t-il demain ? Le flou artistique prédomine. Cette fin, certes provisoire, justifie plus que jamais les moyens.
Au centre d’entraînement de Calas, comme ailleurs, l’ambiance n’est pas vraiment au rendez-vous après une semaine de confinement. Les premiers bourgeons et les petits oiseaux qui chantent sont presque devenus l’activité principale, loin des courses, même si les galops continuent de se succéder chaque matin. Au rapport à chaque levée de drapeau, comme depuis des années, Franck Forési reconnaît cependant que seulement « 50% du travail habituel est réalisé. Les lots sont rapides en évitant bien entendu de se croiser. On prend toutes les précautions pour que l’entraînement se poursuive presque normalement. On ne parle bien entendu plus de préparation. On ne fait que de l’entretien. On insiste sur le foncier bien plus que sur le souffle et la vitesse. En fin de compte, j’en parlais ce matin avec mes employés, la trêve hivernale qui n’existait plus est remise au goût du jour sous la contrainte comme il y a une quinzaine d’années quand le programme épargnait nos pur-sang du 1er décembre au 15 janvier. Seulement, l’interruption risque cette fois d’être bien plus longue. Avant le 1er mai, il ne faut pas se leurrer, on ne courra pas. Et encore, si l’on court début mai ça tiendra du miracle ».
« Sans un vrai rattrapage ce ne sera pas viable » Des courses françaises sans vitrine et une arrière-boutique en souffrance. Dans les Bouches-du-Rhône, malgré les annonces du gouvernement et de la société mère trop de questions restent sans réponse. Après la crise sanitaire, la filière pourrait plonger dans une crise économique sans précédent. « Si la demande formulée auprès de France Galop pour redistribuer les allocations aux chevaux entraînés est respectée, on pourra limiter la casse. En donnant un os à ronger à tout le monde, cela calmera les esprits et beaucoup pourront repartir. La MSA évoque de son côté des reports de charges. C’est bien, mais à un moment donné il faudra quand même les payer. Sans un vrai rattrapage, ce ne sera pas viable. Au lieu d’avoir de la trésorerie jusqu’à fin avril, on l’aura jusqu’à fin mai. Car le personnel il faudra continuer à le payer même en chômage partiel puisqu’il nous faudra faire l’avance. Ce sera terrible pour les écuries les plus fragiles. Mais pas seulement. Je me rends compte que beaucoup d’entraîneurs, aux résultats largement supérieurs aux miens, n’ont même pas la trésorerie pour tenir jusqu’à fin avril. Alors, concrètement, l’argent sera débloqué quand ? L’Etat français vit à découvert depuis des années. Qui va prêter ? Qui fait quoi ? Les effets d’annonces, je veux bien, mais pour asseoir l’avenir du plus grand nombre il faut du concret désormais », reprend l’entraîneur marseillais. Sans oublier d’évoquer les ruptures à pressentir avec certains propriétaires. « J’ai un peu de chance dans la mesure où j’ai des propriétaires à l’ancienne comme par exemple monsieur Charleu ou la famille Eychenne. Ce ne sont pas des traders qui misent tout sur le court terme. Ils ne vous demandent qu’une chose c’est de ne pas trop courir leurs pensionnaires afin de les avoir performants sur leur fraîcheur. Ces clients passionnés et fidèles, tous mes confrères ne les ont peut-être pas, même si je suis parfaitement conscient que personne n’apprécierait qu’on fasse de l’hôtellerie durant de longs mois. Facturer une prestation qui est pourtant juste, car les chevaux continuent de sortir et sont nourris normalement, nombre de propriétaires ne le comprendront pas. Ils prennent une pension pour voir leurs chevaux courir. Dès lors, vont-ils continuer à l’honorer ? On ne peut pas tarifer notre prestation comme s’ils étaient au pré au fin fond du Larzac. On est dans l’expectative totale. Cette situation ne pourra pas s’éterniser. Quant à notre personnel, il travaille au pourcentage des gains. S’il y a zéro gain, leur demander davantage d’efforts pour gagner moins ne durera également qu’un temps. Comme les écoles sont fermées, nous n’accueillons plus nos apprentis. 30% de l’équipe, comme les garçons de voyage, n’ont plus de missions. Je m’interroge ». « J’ai l’impression qu’il s’est passé un mois depuis le début du confinement » A Calas beaucoup s’inquiètent. La peur du lendemain ne s’arrête pas à l’épidémie. Quel sera l’après quand on vit le présent avec une épée de Damoclès sur la tête ? L’expérience aidant, Franck veut relativiser. « J’ai l’impression qu’il s’est passé un mois alors que nous sommes confinés depuis une semaine. Mais je reste un gars assez positif. Je récupère mon retard dans les tâches administratives, je profite de ma femme, de mes enfants. Il y a pire que nous dans la mesure où beaucoup de gens aimeraient faire des promenades à cheval toute la matinée. Nous sommes aussi gâtés par rapport à ceux qui travaillent 12h/24 dans un hôpital au chevet des malades ou ceux qui vivent enfermés dans un appartement de 12 mètres carrés. Alors oui je me considère privilégié, quand bien même nous risquons d’en payer un prochain jour les frais ». Fabrice Rougier
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