En pleine crise sanitaire nos provinces refusent l’asphyxie Réunions déprogrammées et transférées, manque à gagner certain pour nos petits hippodromes, les Présidents des petites structures refusent néanmoins la fatalité et entendent retrouver au plus vite leur lustre d’antan. Immersion dans les Hauts de France, en Normandie et dans le Sud-ouest pour prendre le pouls lors d’une situation exceptionnelle qui aura forcément un impact sur ce que l’on appelle déjà l’après Covid-19.
Que reste-t-il de nos amours ? Que reste-t-il de ces beaux jours ? Une photo (d’arrivée), vieille photo de ma jeunesse. La chanson de Charles Trenet est devenue, dans le contexte particulier que nous connaissons, l’hymne de nos campagnes. Aux quatre coins de France, beaucoup d’hippodromes – ceux qu’on appelle les « bleds » - ont dû baisser le rideau. De troisième ou deuxième catégories, leurs réunions ont souvent trouvé refuge sur des anneaux de plus grande envergure. Comme dans la Somme, particulièrement pour celui d’Abbeville, dont trois rendez-vous ont été annulés en attendant une hypothétique réouverture au mois d’août. Pour Dominique Delannoy, son récent Président, il s’agit d’un premier coup dur depuis sa prise de fonction il y a moins d’un an. « A mon arrivée, mon souci premier a été d’optimiser les finances de l’hippodrome. J’avais resserré les boulons dès l’an dernier sans abandonner nos projets. Nous devions organiser le 170eme anniversaire de l’hippodrome en juin avec une pléiade d’animations. J’ai dû tout annuler non sans délaisser l’entretien de la piste pour qu’on ne rencontre pas de problèmes à la réouverture. J’ai sollicité l’aide du maire de notre commune avec qui j’ai pris rendez-vous suite à l’annulation des trois réunions. J’ai eu un accueil favorable. Cela nous aiderait à encaisser le coup. La perte de trois réunions va nous pénaliser d'une somme comprise, d'après mon trésorier, d'environ 4600 à 5000 euros » constate le responsable picard qui n’avait pas tardé, à l’aurore de la crise à prendre ses responsabilités.
"A Abbeville, on ne peut pas se permettre de perdre de l’argent" « Au tout début, la Fédération nous avait demandé si nous étions d’accord pour courir à huis clos. J’ai répondu par la négative pour diverses raisons. Déjà parce qu’on ne peut pas se permettre de perdre de l’argent. Un médecin urgentiste mine de rien c’est 500€, une ambulance c’est du même tabac, sans parler des techniciens,… tout ça mis bout à bout a un coût qui n’aurait pas été compensé. Quand les courses de deuxième catégorie ont ensuite été transférées sur des anneaux de première catégorie, ça a heureusement mis fin à toutes discussions. D’autre part, les trois-quarts de mes bénévoles ont entre 65 et 75 ans et il était hors de question de prendre pour eux le moindre risque. J’avais aussi un peu peur des conséquences de cette interruption sur le programme pour l’année prochaine. Mais après avoir discuté avec Jean Frère, le Président de notre Fédération, mes craintes ont quelque part été dissipées » relativise le président d’un anneau qui accueille de 500 à 700 personnes par réunion. A Eauze, dans le Sud-Ouest, le problème est différent. Promu en première catégorie depuis l’an passé, l’hippodrome de la Bergeyre aurait dû poursuivre à partir de ce lundi 11 mai son activité florissante. Mais cette hypothèse n’a pas été du goût de Patrice Florensan, le maître des lieux gersois. « J’ai sous ma responsabilité 70 bénévoles, dont beaucoup sont des personnes à risques. Je suis réticent à l’idée les ramener sur la piste aussitôt le confinement terminé, c’est pour cette raison que la première réunion du 17 mai se courra à Toulouse. On a aussi démarré des travaux d’abattage d’arbres sur l’hippodrome qui n’ont pas pu en cette période se terminer. On n’était plus simplement pas prêt. Quant à la réunion du 8 juin, mon vétérinaire était réticent, comme beaucoup d’entre-nous. Ici dans le Gers on est resté en orange sur la carte de circulation du virus jusqu’à il y a une petite semaine. Je n’ai pas vu mes bénévoles depuis deux mois et demi sauf un qui entretient la piste qui est du reste nickel. On y met il est vrai beaucoup d’argent. Cette année on a encore déposé 123 tonnes de sable, de la chaux,… mais mon conseil d’administration à l’unanimité n’était pas d’accord pour courir à huis clos tant que la maladie n’est pas contenue ». L'hippodrome d'Eauze privé de sa fête Puis de poursuivre, « Nous abritons cinq réunions à l’année, celle du 8 juin était réservée aux courses à réclamers. Sans propriétaires sur l’hippodrome, imaginez la tristesse, elle va toutefois se courir à Langon. Le 6 juillet était également notre journée phare durant la fête d’Eauze. Notre restaurant fait généralement 400 repas ce jour-là, mais le maire a annulé toutes les manifestations jusqu’au 31 août. On la maintiendra peut-être à huis clos avec accord de la préfecture du Gers mais c’est d’ores et déjà un manque à gagner important, de plusieurs milliers d’euros pour notre société ». En Normandie, plus précisément à Saint-Aubin lès Elbeuf, petite commune d’environ 10 000 habitants située en Seine-Maritime, là encore on déplore la disparition totale de l’activité. Les sept réunions programmées cette saison ont tout simplement été impactées par le coronavirus. De mémoire de Saint-Aubinois, on n’avait jamais connu pareille désillusion. Mais il en faudrait bien plus pour entamer la bonne humeur de Louis Grenet, Président des « Brûlins ». « Tout le monde comprend qu’il s’agit d’un épisode exceptionnel. On est tous des passagers embarqués dans cette affaire. Ca repartira même si ça va être long. Le produit courses marche », introduit-il avec son optimisme débordant. « Quand j’ai eu Stéphane Meunier au téléphone tout au début, vers le 15 mars, et qu’on s’est aperçu de la gravité de la situation, notre premier sentiment a été de se dire : les courses d’abord, dans le sens où il fallait trouver une suite pour qu’elles puissent continuer à se dérouler dans les meilleures conditions. Je suis à la tête d’une petite société qui comprend une trentaine de collaborateurs, la plupart bénévoles et quelques vacataires, avec en son sein une quinzaine de personnes dont l’âge est au-delà de 65 ans. Cela nous obligeait à un protocole contraignant que seuls les hippodromes de première catégorie étaient en mesure de contrôler et respecter. Même si c’est dur quand vous venez d’être fraîchement élu président, vous mettez votre orgueil de côté pour le bien de tous. A ma prise de responsabilités, on avait investi énormément, un peu plus de 20 000 €, pour la rénovation de la piste, dans l’achat de tentes toutes neuves. Et quatre jours avant le lancement de la saison tout s’est écroulé. Il a fallu dans l’urgence faire preuve de bon sens, choisir les meilleures options ou peut-être les moins pires. Mettre en avant les pôles régionaux garantissait un tas de choses que nous, petits hippodromes, n’étions pas en mesure d’assurer ». Face à l’urgence, les sociétés de Mauquenchy et d’Evreux ont volé au secours de leur consoeur. "A Saint Aubin lès Elbeuf on repartira de plus belle l'an prochain" Un crève-cœur toutefois pour le responsable normand qui y voit lui aussi un manque à gagner conséquent. « Chaque réunion est financée à hauteur de 6 à 7000 €. Mais en y réfléchissant bien, une année blanche, sans rentrées d’argent, nous évitera aussi d’en perdre si l’on avait dû évoluer à huis clos. De tempérament je suis toujours très positif. Je suis certain qu’on repartira de plus belle l’an prochain. Depuis mon arrivée j’ai bénéficié de l’apport d’une quinzaine de bénévoles. Vous savez, malgré tout ce qui peut se dire, les gens aiment les courses. Je suis sûr de mon projet. L’an prochain j’aurai mes trois tentes pour accueillir mon public et faire des barbecues. Notre public apprécie cette convivialité, voir des chevaux, jouer, tout ça va revenir. On va passer à côté cette année, mais en 2021 on mettra les petits plats dans les grands pour encore mieux rebondir. Notre hippodrome plaît avec ses pistes assez larges de qualité. Nous avons le profil type pour faire démarrer les jeunes chevaux. Quand un cheval gagne à Saint-Aubin les Elbeuf, tout le monde s’y intéresse car c’est un signe évident de moyens. C’est un bon petit hippodrome de référence en Normandie. Du coup, je me fais presque engueuler parce qu’on ne court pas », en plaisante Louis Grenet. En effet, qu’elles sont belles nos provinces. Elles qui, bien souvent, aiguisent la passion dans les rangs des socio-professionnels mais aussi chez les turfistes. On y croise les futurs champions, on échange quelques mots avec les entraîneurs et les jockeys ou drivers entre deux animations pour petits et grands. Qu’on soit deux cents, cinq cents ou mille, on semble tout simplement appartenir à une même famille et fuir le temps d’une après-midi ce sinistre quotidien. Tant qu’il y aura des hippodromes en petite province, il y aura de l’espoir. Cet espoir de voir renaître les courses d’antan. On pourra seulement lâcher un « c’était mieux avant » quand ils auront été rayés de la carte. Si l’un de nos dirigeants, au trot comme au galop, a cette idée aussi abjecte que saugrenue derrière la tête… mieux vaut qu’il quitte dès à présent la piste. Fabrice Rougier Photo : L'hippodrome gersois d'Eauze récemment promu en première catégorie. (droits réservés) |